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Juin 22

Comment la technologie blockchain peut bouleverser l’industrie musicale ?

Pour le créateur, internet est aujourd’hui autant un moyen de promotion sans égale, qu’un espace de diffusion incontrôlable, où il perdra bien souvent le contrôle sur son œuvre, et sur les droits d’auteur y afférant.

Pourtant, des nouvelles technologies sont développées actuellement pour redonner aux créateurs le contrôle sur leurs œuvres. Que ce soient des photographes, des musiciens ou des artistes plasticiens, ces technologies souhaitent leur permettre de retracer l’usage de leurs œuvres sur internet, et cela de manière authentique et sécurisée.

Les auteurs disposent pourtant déjà de plusieurs armes juridiques pour lutter contre la contrefaçon sur internet, comme notamment le référé « droit d’auteur » de l’article L. 336-2 du Code de la Propriété Intellectuelle, mais leur efficacité reste toute relative au vu de l’ampleur de la contrefaçon en ligne. Dès lors, la technologie semble être une solution intéressante permettant de redonner aux créateurs un contrôle effectif de leurs droits d’auteur sur internet.

Outre les technologies de monitoring en ligne, la blockchain est la technologie qui présente le plus de bouleversements concernant les droits d’auteur, mais qui fonde aussi le plus d’espoirs.

La blockchain est un réseau décentralisé, qui assure la sécurité des transactions par la mise en relation des différents acteurs du réseau. Cette technologie est à la base de la crypto monnaie Bitcoin, mais elle peut recevoir de nombreuses autres applications : dans le monde de la finance, de la banque, du droit, de l’industrie musicale, etc.

Ainsi la blockchain permet plus généralement de construire des bases de données sécurisées et partagées entre tous les participants du réseau, mais aussi d’authentifier leurs transactions. Chaque transaction forme alors une chaine de blocs chiffrés, et interdépendants, ce qui rend le système infalsifiable. « La blockchain est comme un immense registre comptable, où deux participants, identifiés par un code, peuvent conclure une transaction, envoyée à un réseau d’ordinateurs partout dans le monde, décryptée puis validée par d’autres participants. »[1]

Tous les membres du réseau blockchain en sont en quelque sorte un administrateur, il devient donc impossible de modifier le réseau sans l’accord d’une majorité de ses membres.

De nombreuses startups spécialisées dans la technologie blockchain se sont développées, d’abord sur le marché de l’art, comme Ascribe ou Verisart, ou pour les images, comme Mediachain. Ainsi, cette dernière, en s’appuyant sur la technologie blockchain, souhaite pouvoir retracer toute la vie d’une image ou d’une illustration publiée par son auteur sur internet, en y incluant l’ensemble des modifications apportées.

L’idée a ensuite germé d’appliquer cette logique à la musique : retracer toute écoute, stream, téléchargement, mais aussi toutes modifications, mix, remix, apportés à un morceau publié sur le réseau blockchain. Cette possibilité de tracking offerte par la technologie blockchain doit servir au créateur original à faire valoir ses droits d’auteur sur l’ensemble de ces utilisations. En effet, des « smart contracts » pourraient être attachés à chaque morceau disponible sur la blockchain, permettant ce genre de transactions.[2] Ces « smart contracts » permettront ainsi de diviser automatiquement les royalties selon ce qui est négocié dans les contrats réels entre les différents ayants-droits de l’œuvre (le compositeur, l’interprète, etc).[3]

D’autres startups développant la blockchain se sont vite spécialisées exclusivement sur le marché de la musique, comme Peertracks ou Ujo Music. Via la plateforme Ujo par exemple, il est possible pour un internaute d’acheter le morceau, mais aussi son tempo, sa tonalité, son format « stems », et en utilisant une cryptomonnaie appelé Ether. L’argent va alors directement à l’artiste, et autres ayants droits, en s’affranchissant de tout intermédiaire.[4] Ce projet, porté par la chanteuse britannique Imogen Heap, suscite le grand intérêt de toute l’industrie musicale.

Ainsi, l’ambition de ces start-ups est d’être intégrées aux plateformes de streaming comme Spotify ou Deezer, où les paiements des droits d’auteur seraient effectués via la technologie blockchain. Le musicien enregistre d’abord son œuvre sur la plateforme blockchain, qui est dotée d’un numéro spécifique, lui permettant ensuite de suivre toutes transactions liées à cette œuvre. La blockchain permettrait à l’artiste d’accéder à l’ensemble des données générées par son œuvre sur internet : où sa musique est consommée, par qui, sous quelle forme, etc.

Mais la technologie blockchain pourrait aussi aboutir à s’affranchir complètement de ces plateformes de streaming, des labels, ou même des Sociétés de Gestion Collective. Les majors sont ainsi frileuses face à cette nouvelle technologie, puisqu’elle pourrait entamer une partie de leur activité. Cependant, la technologie blockchain ne pourra pas enlever le rôle de marketing ou de négociation des labels et maisons de disques.

Mais selon les dires du fondateur d’Ujo Music, Phil Barry, l’utilisation de la blockchain dans l’industrie de la musique pourra à terme supplanter une bonne partie du travail des intermédiaires, comme les Sociétés de Gestion Collective, et donc réduire les coûts de gestion de toute l’industrie musicale. [5]

Malgré tout, la technologie blockchain a toujours de nombreux défauts : elle reste lente, coûteuse et limitée à quelques transactions par seconde. La technologie est lente car elle demande la vérification complète de toutes les transactions par chaque membre connecté du réseau.[6] Actuellement, bitcoin ne peut supporter qu’entre 3 et 7 transactions par seconde, ce qui est très peu par rapport aux transactions bancaires par exemple (environ 2000 transactions par seconde sur le réseau VISA).

Cependant, le développement de cette technologie reste très prometteur. De plus, les mentalités évoluent : alors que le bitcoin était autrefois vu comme un système de hacker et de pirates, certains députés, Les Républicains, veulent désormais doter la technologie blockchain d’un cadre juridique.

Ainsi, dans le cadre du projet de loi sur la transparence, ces députés ont déposés des amendements visant à donner une valeur légale contraignante aux actes authentifiés par une blockchain, comme c’est le cas des actes notariés.[7] Le premier amendement proposé dispose comme suit : « les opérations effectuées au sein d’un système organisé selon un registre décentralisé permanent et infalsifiable de chaîne de blocs de transactions constituent des actes authentiques au sens du deuxième alinéa de l’article 1317 du code civil ». Cependant, il est peu probable pour l’heure que cet amendement soit adopté, toutefois cela démontre une évolution certaine des mentalités.

Ainsi, certains prédisent déjà que la technologie blockchain sera aussi disruptive qu’internet en son temps.[8] Voyons si cela se fera cette fois, dans l’intérêt premier du créateur.

Maxime Gazeau & @ATurquoise

Elève-Avocat

[1] http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2016/05/16/32001-20160516ARTFIG00148-blockchain-est-elle-la-nouvelle-grande-revolution-technologique.php

[2] http://www.lesechos.fr/03/03/2016/LesEchos/22142-046-ECH_imogen-heap-la-chanteuse-qui-veut-revolutionner-l-industrie-musicale.htm

[3] http://www.billboard.com/articles/business/6655915/how-the-blockchain-could-actually-change-the-music-industry

[4] http://qz.com/620454/imogen-heap-wants-to-use-blockchain-technology-to-revolutionize-the-music-industry/

[5] http://www.billboard.com/articles/business/6655915/how-the-blockchain-could-actually-change-the-music-industry

[6] https://rslnmag.fr/innovation/blockchain-cest-quoi-explications/

[7] http://www.numerama.com/business/175034-des-deputes-veulent-donner-a-la-blockchain-une-valeur-legale-incontestable.html

[8] http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2016/05/16/32001-20160516ARTFIG00148-blockchain-est-elle-la-nouvelle-grande-revolution-technologique.php