Blog
Août 03

INSTAGRAM ET DROIT D’AUTEUR

Richard Prince, rendu célèbre par ses travaux de réappropriation, a récemment fait parler de lui pour avoir modélisé à sa façon les concepts du droit d’auteur.

L’artiste a en effet exposé dans une galerie New-Yorkaise des tableaux représentant les captures d’écran de photos publiées sur le réseau social Instagram. Les faits sont particuliers en  ce qu’il n’a pas obtenu, ni même demandé, l’autorisation aux auteurs des photographies publiées pour les reproduire. Son comportement est d’autant plus surprenant que les « œuvres » ont été vendues à des prix exorbitants, atteignant 100 000 dollars, sans que ne soit reversée une partie des recettes aux véritables auteurs des photographies.

Une des utilisatrices du réseau social dont la photo a été réappropriée par Richard Prince a réagi et expliqué qu’elle ne l’attaquerait pas. Cette position, qui paraît étonnante, peut se justifier par le fait que l’artiste controversé a déjà gagné des procès de la même teneur, au nom du « fair use », concept phare du copyright aux Etats-Unis.

En France toutefois, les auteurs spoliés n’auraient sans doute pas épargné Richard Prince de poursuites judiciaires.

Si le droit d’auteur français a du s’adapter à l’art conceptuel et à plus d’utilitarisme, il reste profondément humaniste et très protecteur de l’auteur. Ce dernier jouit ainsi de prérogatives de deux natures.

Les droits moraux, prévus à l’article L121-1 du Code de la propriété intellectuelle, sont personnels, perpétuels, inaliénables et imprescriptibles. Très spécifiques du droit français, ils permettent à l’auteur de contrôler le sort de sa création.

En l’espèce, Richard Prince aurait pu se défendre en revendiquant le respect de la paternité des œuvres en ce qu’il avait laissé apparaître le nom du titulaire du compte Instagram, permettant ainsi de pouvoir identifier qui était l’auteur original de la photographie reproduite.

En revanche, le droit moral permet également de défendre l’intégrité de son œuvre. En l’espèce, les Instagramers auraient pu soulever la violation de l’intégrité de leurs œuvres au titre de leur appropriation par un artiste contesté, sans leur aval.

Les droits patrimoniaux, eux, tendent à une protection pécuniaire permettant à l’auteur de tirer les fruits de sa création. Les prérogatives patrimoniales de l’auteur relevant d’une conception synthétique et ouverte, les droits de reproduction et de représentation qu’elles renferment visent à protéger toutes les formes d’exploitation susceptibles d’être envisagées. Ces droits pécuniaires permettent ainsi à l’artiste de soumettre à son autorisation toute utilisation de son œuvre par un tiers. En l’espèce, les auteurs des photographies auraient pu, en France, agir en contrefaçon au titre de la violation du droit de reproduction de leur œuvre. Leur argumentation aurait pu reposer sur le fait que leur autorisation n’avait pas été sollicitée et qu’aucune somme ne leur a été reversée à la suite de la vente des tableaux.

Enfin, le Code de la propriété intellectuelle français soulève l’existence d’œuvres particulières, telles que les œuvres composites. Ainsi, l’article L113-2 dudit Code dispose qu’ « est dite composite l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière ». Il convient de souligner toutefois que l’absence de collaboration de l’auteur de l’œuvre préexistante ne signifie pas que  l’auteur de l’œuvre nouvelle peut se passer de son autorisation. Au contraire, l’utilisation de l’œuvre première est soumise à l’acceptation de son propre auteur. A défaut, celui-ci peut agir en contrefaçon.

En l’espèce, il apparaît clairement que Richard Prince a utilisé les photographies postées sur Instagram sans l’autorisation de leur auteur. De plus, il est permis de douter quant  au fait que les tableaux exposés sont constitutifs d’œuvres dérivées. En effet, l’artiste s’est contenté d’ajouter un message à l’aide d’un commentaire posté sur le réseau social, apparaissant alors sous la photographie.

Richard Prince, lui, semble cependant revendiquer l’empreinte de sa personnalité sur les clichés exposés en ce que l’impression d’une image sur une toile nécessite un apport créatif résultant de divers choix tels que celui de l’encre, des matériaux, des couleurs, du grain de toile ou encore de son format.

Il semble alors que Richard Prince aurait été considéré en totale violation du droit d’auteur personnaliste tel que prôné en France. Aussi, il a mené son action paisiblement aux Etats-Unis, connaissant les principes du copyright et la faible protection des artistes qu’il implique.

Emeline CUCHOT, Eleve Avocat