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Fév 27

La saga des feuilles de présence des musiciens participant à l’enregistrement purement sonore d’une œuvre destinée à être intégrée à la bande-son d’un film

Dans son arrêt du 16 février 2018, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation a offert un rebondissement à la saga judiciaire des feuilles de présence concernant des musiciens participant à l’enregistrement purement sonore d’une œuvre destinée à être intégrée à la bande-son d’un film.

La société de perception et de répartition des droits des artistes-interprètes (SPEDIDAM) a été créée en mai 1959 pour représenter des artistes-interprètes.

En 1968, l’ORTF produisit et diffusa une adaptation à la télévision du « Bourgeois Gentilhomme » de Molière. Trente-cinq ans plus tard, l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) – qui détient les droits de l’ORTF depuis 1974 – commercialisa un vidéogramme de l’œuvre sans verser de rémunération supplémentaire à la SPEDIDAM, chargée de percevoir et de distribuer les droits de ces artistes.

Considérant que l’INA opérait ainsi une nouvelle fixation de l’œuvre, la SPEDIDAM agit en violation du droit d’auteur sur le fondement des articles L212-3 et L212-4 du CPI pour exiger la perception d’une nouvelle rémunération.

Pourtant, les juges du tribunal de grande instance de Créteil et la cour d’appel de Paris déboutèrent la SPEDIDAM aux motifs :

  • Que la commercialisation d’une représentation télévisée sous forme de vidéogramme ne constitue pas une nouvelle fixation de l’œuvre puisque l’accompagnement musical n’est aucunement séparable de l’œuvre audiovisuelle mais en est partie prenante ;
  • Que la feuille de présence signée lors de l’enregistrement par chacun des artistes-interprètes constitue un contrat emportant présomption de cession des droits de fixation, de commercialisation et de représentation au sens de l’article L212-4 du Code de la propriété intellectuelle.

En effet, l’article L212-4 précité dispose que les contrats conclus entre un artiste-interprète et un producteur pour une œuvre audiovisuelle emportent présomption de cession des droits de fixation, de reproduction, et de communication de l’œuvre au public.

Cet arrêt fut cassé par la première chambre civile de la Cour de cassation le 29 mai 2013. Reprenant la position classique de la jurisprudence, celle-ci refusa de qualifier la feuille de présence comme un contrat emportant présomption de l’article L212-4[1] du Code.

Dès lors, partant du constat que l’enregistrement est par nature dissociable des images, la Cour en déduisit que la présomption de cession de droit de l’article L212-4 précité n’était pas applicable à la situation des musiciens ayant participé à l’enregistrement purement sonore d’une œuvre destinée à être intégrée à la bande-son d’un film. A défaut d’accord écrit et exprès, l’INA aurait donc dû payer un complément de rémunération à la SPEDIDAM.

Pourtant, la juridiction de renvoi s’obstina et refusa de suivre le raisonnement de la première chambre civile, en reprenant les arguments de la cour d’appel de Créteil.

Le 16 février 2018, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation fut donc saisie de deux questions :

  • L’interprétation d’un musicien ayant participé à l’enregistrement purement sonore d’une œuvre destinée à être intégrée à la bande-son d’un film constitue-t-elle une œuvre audiovisuelle ?
  • La feuille de présence signée par un musicien pour l’enregistrement sonore d’une œuvre destinée à être intégrée à la bande son d’un film constitue-t-elle un contrat emportant présomption de cession des droits d’une œuvre audiovisuelle au sens de l’article L212-4 du Code de la propriété intellectuelle ?

L’Assemblée Plénière cassa l’arrêt de la Cour de cassation au motif que la feuille de présence mentionnait expressément que l’œuvre était réalisée « en vue d’une diffusion à la télévision et que ces musiciens étaient informés que la fixation de la prestation était destinée à la réalisation de cette œuvre audiovisuelle ».

Ce faisant, l’Assemblée Plénière se prononça sur la valeur juridique des feuilles de présence conclues entre des producteurs et des musiciens ayant participé à l’enregistrement purement sonore d’une œuvre destinée à être intégrée à la bande-son d’un film. Sous réserve que cet accord prévoie expressément que la fixation de l’œuvre est destinée à la réalisation d’une œuvre audiovisuelle, la feuille de présence a donc une valeur suffisante pour déclencher la présomption de cession des droits audiovisuels de l’article L212-4 du Code de la propriété intellectuelle.

En ce sens, l’arrêt du 16 février 2018 met fin à l’interprétation stricte de l’article L212-4 précité[2].

Toutefois, la portée de cette décision est à relativiser. En effet, il est à noter que :

  • La feuille de présence vaut contrat emportant présomption de cession des droits audiovisuels uniquement lorsque l’intégralité de l’œuvre est reprise. En revanche, il semblerait qu’en cas d’exploitation séparée de l’image et du son, la présomption de l’article L212-4 ne s’appliquerait pas ;
  • C’est en raison de la mention, signée par l’artiste, stipulant que l’œuvre est destinée à la réalisation d’une œuvre audiovisuelle que cet accord a été assimilé à un contrat emportant présomption de l’article L212-4 du Code.

En attendant, cet arrêt retiendra grandement l’attention des producteurs ayant signé de tels documents.

[1] En ce sens, le tribunal de grande instance de Paris avait déjà affirmé dans une décision du 18 septembre 2002 que « La simple feuille de présence signée par l’artiste interprète qui ne porte aucune autre mention que la date de diffusion et ne porte aucune clause d’aucune sorte, ne présente pas la nature d’un contrat au sens de l’article L212-4 CPI ».

[2] En ce sens, la jurisprudence antérieure avait refusé de retenir la qualification « d’œuvre audiovisuelle » pour une prestation chantée insérée dans la bande son d’un film (cour d’appel de Paris, 10 novembre 1992) et pour un enregistrement sonore effectué en vue de la réalisation de la bande son originale d’un film (cour d’appel de Versailles, 24 février 2000 ; cour d’appel de Paris 9 mai 2005 et 19 janvier 2007).

Salomé Ricordel pour ATURQUOISE

Source : https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/notes_explicatives_7002/relative_arret_38636.html

et @Dalloz : https://www-dalloz-actualite-fr.ezproxy.univ-paris1.fr/flash/oeuvre-audiovisuelle-quid-des-musiciens-interpretes-de-bande-sonore#.WpVg5ejOV3g

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