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Août 12

LA DÉTENTION PAR LES ÉDITEURS DE SERVICE DE PARTS DE COPRODUCTION

La modification de l’article 71-1 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication par la loi du 15 novembre 2013 sur l’indépendance de l’audiovisuel public a suscité beaucoup de débats et de lobbying au sein des professionnels du secteur.

La loi de 1986 est relative au régime de contribution des services de télévision à la production audiovisuelle prévoyant qu’une part de l’investissement de ces chaînes doit être consacrée à la production indépendante. Son article 71-1 charge le pouvoir réglementaire de définir les modalités selon lesquelles une œuvre audiovisuelle peut être prise en compte au titre de la contribution d’un éditeur de services à la production indépendante en fonction de la part détenue, directement ou indirectement, par l’éditeur de services ou par le ou les actionnaires le contrôlant.

Dans son rapport de mai 2013, le sénateur Jean-Pierre PLANCADE considérait que « le rempart longtemps dressé entre la production et la diffusion [avait] vocation à être battu en brèche » et préconisait « un rapprochement des intérêts des uns et des autres […] par le moyen d’un partage des droits sur les œuvres ».

Toutefois, dès les projets de réforme, l’opposition entre les producteurs et les chaînes de télévision s’est élevée et le vote de la loi du 15 novembre 2013 a fait naître des craintes chez les producteurs.

En effet, au cours d’une séance nocturne, le sénateur (PRG) Jean-Pierre Plancade est parvenu à faire voter un amendement inattendu modifiant la relation producteurs-diffuseurs. Celui-ci est alors venu s’ajouter au projet de loi sur l’indépendance de  l’audiovisuel qui devait être  voté  quelques semaines  plus tard. L’amendement visait à donner le droit aux éditeurs de services d’obtenir des « parts de producteur ». Alors que cela leur était fermement interdit par l’article 71-1 de la loi du 30 septembre 1986, depuis longtemps les chaînes de télévision réclamaient ce droit afin de pouvoir  financer  des œuvres audiovisuelles sans avoir nécessairement à abandonner les droits de ré-exploitation entre les mains des producteurs. Ces derniers à  l’inverse  revendiquaient  le  maintien  d’une  telle  interdiction  afin  d’empêcher les éditeurs de  service  de  bloquer la circulation  des œuvres qu’ils auraient financées  et leur revente à des chaînes    concurrentes.
Face à cet amendement intervenu par surprise, les producteurs ne visaient désormais plus que le maintien de l’impossibilité pour les chaînes de se voir attribuer des mandats de distribution.

Le bras de fer allait pouvoir reprendre avec le projet de décret modifiant le régime de contribution des services de télévision à la production d’œuvres audiovisuelles. Si le fait pour les chaînes de télévision de détenir des parts de coproduction était approuvé, la bataille allait se concentrer sur les mandats de distribution, prérogatives permettant de participer à la commercialisation des programmes. Les producteurs s’y sont opposés, craignant que les chaînes de télévision en profitent pour geler les droits et bloquer la circulation des œuvres. A l’inverse, les éditeurs de services menaient un lobbying pour bénéficier de ces mandats afin que cesse la rediffusion par des chaînes concurrentes de programmes qu’ils avaient en partie financés.

Si dans la première version du décret les producteurs se voyaient attribuer un droit prioritaire pour obtenir les mandats de distribution, ce privilège a disparu dans la version définitive du texte.

Ainsi, le décret adopté le 27 avril 2015 modifie le régime de contribution des services de télévision à la production d’œuvres audiovisuelles prévu par les décrets « productions » des 2 juillet et 27 avril 2010 régissant les éditeurs de services hertziens d’une part et non hertziens d’autre part. Il intervient ainsi dans la mise en œuvre de la loi du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel  public.  Ce dernier  texte,  voté  dans  un  contexte  tumultueux,  a  eu  pour  but de moderniser les règles encadrant le secteur de l’audiovisuel français. Pour ce faire, le Parlement a assoupli l’article 71-1 de la loi du 30 septembre 1986 afin de concilier indépendance et nécessité de stimuler la production audiovisuelle française.

En effet, cette disposition législative empêchait jusqu’à lors aux éditeurs de services de télévision de participer à l’exploitation des œuvres dont ils avaient pris part au financement. Le changement prévu par la loi du 15 novembre 2013 implique désormais la possibilité de prendre en considération, au titre de la production audiovisuelle indépendante pour les œuvres dont ils ont financé une « part substantielle », des dépenses des éditeurs de service en parts de coproduction. Le décret adopté au printemps dernier vient fixer les modalités de cette nouveauté.

Le décret fixe la part substantielle de financement à 70 % du devis de production d’une œuvre  audiovisuelle et prévoit notamment les conditions suivantes :
–   L’investissement de l’éditeur de services en parts de producteur ne doit pas excéder la moitié des dépenses de l’éditeur de services dans l’œuvre,
–    La détention par les éditeurs de mandats de commercialisation et droits secondaires   sur les œuvres connaît un encadrement renforcé. Elle est soumise au respect de quatre exigences :
. Tout d’abord, les mandats de commercialisation et les droits secondaires font l’objet d’un contrat distinct et doivent être négociés dans des conditions équitables, transparentes et non discriminatoires, précisées par les conventions et les cahiers des charges prenant en compte les accords conclus entre les éditeurs de services et les organisations professionnelles de l’industrie audiovisuelle.
. Puis, si un accord conclu entre un éditeur et une ou plusieurs organisations représentatives peut nuancer cette règle, il n’est possible en principe pour l’éditeur de services de détenir, directement ou indirectement, des mandats de commercialisation uniquement lorsque le producteur ne dispose pour l’œuvre en cause ni d’une capacité de distribution, interne ou par l’intermédiaire d’une filiale, ni d’un accord-cadre conclu avec une entreprise de distribution.
. Aussi, l’éditeur de services doit s’engager à diffuser l’œuvre dont il acquiert les droits de diffusion en France dans un délai de dix-huit mois sur un service de son groupe. Cette disposition ne s’applique toutefois pas aux séries dont l’éditeur de service a acquis les droits de diffusion de nouveaux épisodes.
. Enfin, s’il détient le mandat de commercialisation en France de l’œuvre, l’éditeur de services doit s’engage à l’exploiter, sur un service de télévision, à l’issue de la période initiale des droits  de diffusion qui lui ont été cédés.

A travers ces dispositions, le pouvoir réglementaire tend donc à établir un équilibre entre producteur et diffuseurs, tout en imposant suffisamment de conditions dans le but de garantir l’indépendance des productions et la bonne circulation des œuvres.
Il conviendra ainsi de voir, à la lumière des pratiques observées, si ces dispositions, à l’origine d’importants débats, auront permis de renforcer le secteur de l’audiovisuel : d’une part à travers l’encouragement pour les producteurs à construire des projets, et d’autre part grâce à l’incitation pour les diffuseurs à participer au financement des programmes.

Emeline CUCHOT, élève-avocat