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Déc 15

Affaire Showroomprive.com / Vente-Privée.com et compétence du Juge en Droit des marques

La compétence des tribunaux en matière de droit des marques est déterminée sur le fondement de l’article L716-3 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose que « Les actions civiles et les demandes relatives aux marques, y compris lorsqu’elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux de grande instance, déterminés par voie réglementaire ».

Aussi, l’article D716-12 du même Code renvoie à un tableau annexé à l’article D. 211-6-1 du Code de l’organisation judiciaire selon lesquels les tribunaux suivants bénéficient d’une compétence exclusive pour connaître des actions en matière de marques : tribunaux de grande instance de Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nanterre, Nancy, Paris, Rennes, Strasbourg, Fort-de-France.

Seulement, doit-on considérer que cette compétence d’ordre public s’impose à tout contentieux touchant de près ou de loin le droit des marques ?

D’aucuns considèrent que les juges du fond appliquent largement cette compétence exclusive des tribunaux déterminés par voie réglementaire. Ainsi, tout contentieux entre le concédant et le licencié d’une licence de marque relèverait de la compétence spéciale du TGI et non de celle du tribunal de commerce.

Toutefois, il semble que la compétence des juges en la matière varie selon qu’il est demandé au juge d’apprécier ou non une infraction relative au droit des marques, la contrefaçon par exemple.

Ainsi, il convient de rester prudent au vu de la jurisprudence de la Cour de cassation à cet égard en ce qu’elle a pu considérer que les juges du fond, pour se prononcer sur ces questions de compétence, devaient rechercher si les prétentions du demandeur concernaient des règles spécifiques à la propriété intellectuelle.

A ce titre, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a d’ailleurs considéré, dans une décision du 23 novembre 2010 (n° 09-70.859, FS-P+B, Sté Groupe Editor International c/ Sté Warner Bros Entertainment France, JurisData n° 2010-022058), qu’ « Attendu que pour accueillir l’exception d’incompétence, l’arrêt retient que l’assignation introductive d’instance tend notamment à faire dire que le contrat de licence doit continuer à poursuivre ses effets et que la compétence des juridictions commerciales est exclue en matière de marques et de propriété littéraire et artistique même lorsque n’est invoquée par le demandeur qu’une responsabilité contractuelle de droit commun ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si les prétentions du Groupe Editor portaient sur l’application de dispositions relevant du droit des marques ou du droit d’auteur, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».

Par la suite, dans un arrêt du 14 octobre 2014 (n°2014/05096), la Cour d’appel de Paris avait alors considéré que « Considérant que dans l’espèce, et à l’examen de l’assignation introductive d’instance du 13 septembre 2012, la société DGDU demande au tribunal de commerce notamment de prononcer la résolution, subsidiairement la résiliation, de contrats de licence de marque pour défaut d’objet et de cause ;

Que la juridiction saisie devra par conséquent analyser les droits des parties sur la marque Laguiole, contestée à la société Laguiole Licence SAS, ainsi que les contrats de licence en cause et leur exécution au regard des spécificités du droit des marques qu’elle devra appliquer ;

Que d’évidence, ce contentieux relève du tribunal de grande instance en vertu des dispositions légales susvisées ».

Enfin, plus récemment, ans une décision du 22 novembre 2016 (n°15-18360 Showroomprive.com / Vente-Privée.com), la Chambre commerciale de Cour de cassation s’est prononcée sur une question de compétence dans le cadre de la saga judiciaire opposant les sociétés Ventes-privées.fr et Showroomprivé.com.

En l’espèce, la société Vente-privée.com avait constaté que la réponse à des requêtes sur internet employant les termes « vente-privee.com » dirigeaient vers le site showroomprive.com. Considérant que cela était de nature à porter atteinte à ses droits et intérêts, la société Vente-privee.com a présenté requête au président du tribunal de grande instance de Bobigny aux fins d’obtenir une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. Cette mesure d’instruction devait permettre à Vente-privée.com d’obtenir des informations sur les comptes Adwords de Showroomprivé.com.

Après diverses actions de la société Showroomprivé.com visant à la rétractation de cette ordonnance pour absence de compétence du TGI de Bobigny, la Cour de cassation a considéré que « la société Vente-privee.com n'[ayant] pas fondé sa requête sur la contrefaçon mais sur l’existence probable de faits de nature à engager la responsabilité quasi-délictuelle de la société Showroomprive.com, et qu’elle n’[ayant] pas sollicité une saisie par description ou appréhension d’un échantillon de produits ou de services argués de contrefaçon, la cour d’appel en [avait] exactement déduit, peu important la référence que faisait sa requête aux marques dont cette société était titulaire, que la demande ne tendait pas à une saisie-contrefaçon ». La Cour de cassation a donc considéré que le droit commun était applicable en dépit du droit spécial de la propriété intellectuelle, validant la compétence du tribunal de grande instance de Bobigny pour statuer sur la requête de Vente-privée.com.

Cette décision rappelle donc que la frontière permettant de délimiter la compétence du juge en la matière est très mince et qu’il convient d’être prudent.

Emeline CUCHOT