Dans un arrêt rendu le 22 octobre 2020, la Cour de justice de l’Union-européenne (ci-après « CJUE ») s’est prononcée sur les aspects couverts par l’usage sérieux d’une marque nationale.
Entre 1984 et 1996, la société Ferrari (ci-après «Ferrari ») commercialise plusieurs modèles de voiture de sport sous la marque « TESTAROSSA », déposée à la fois en tant que marque internationale et en tant que marque nationale, en Allemagne, dans la même classe, à savoir, la classe 12 [1].
En 2015, une procédure de déchéance contre la marque nationale « TESTAROSSA » est initiée en Allemagne pour absence d’usage sérieux.
La déchéance est prononcée en première instance. Ferrari fait appel de la décision. A cette occasion, les juges posent une série de questions préjudicielles à la CJUE pour connaitre les différents aspects que peut couvrir l’« usage sérieux » d’une marque nationale.
>S’agissant de la question de la charge de la preuve de l’usage sérieux d’une marque nationale,la CJUE juge qu’elle « ne relève pas de la compétence des Etats membres » (point 76). Elle estime en effet être seule compétente, en la matière. Elle choisit d’harmoniser les règles de preuve de l’usage sérieux d’une marque nationale et opte pour la même solution qu’en matière de marques de l’Union européenne. Elle juge ainsi que « la charge de la preuve du fait qu’une marque [enregistrée dans un Etat membre] a fait l’objet d’un “usage sérieux” pèse sur le titulaire de cette marque » (points 80 et 82).
>S’agissant des différents aspects que peut couvrir l’usage sérieux d’une marque nationale, sont considérés comme tels:
- L’usage de la marque pour une catégorie de produits : la CJUE admet ici que l’usage de la marque, par le titulaire, pour des pièces détachées faisant partie intégrante des véhicules couverts par la marque « TESTAROSSA » est susceptible de constituer un usage sérieux : « non seulement pour les pièces détachées elles-mêmes, mais aussi pour les produits couverts par ladite marque. Il est, à cet égard, indifférent que l’enregistrement de ladite marque couvre non seulement les produits entiers, mais aussi leurs pièces détachées » (point 35).
La CJUE procède à une autre distinction :
(i) Si une marque protège une catégorie de produits et services définie de façon précise et circonscrite, et à l’intérieur de laquelle il n’est pas possible d’opérer de divisions significatives, « il est suffisant d’exiger du titulaire d’apporter la preuve de l’usage sérieux de sa marque pour une partie des produits ou des services relevant de cette catégorie homogène » (point 37).
(ii) Si la marque concerne des produits ou services rassemblés au sein d’une catégorie large, susceptible d’être subdivisée en plusieurs sous-catégories autonomes, le titulaire doit apporter la preuve de l’usage sérieux « pour chacune de ces sous-catégories autonomes, à défaut de quoi il sera susceptible d’être déchu de ses droits à la marque pour les sous-catégories autonomes pour lesquelles il n’a pas apporté une telle preuve » (point 38) [2].
- La revente de produits d’occasion par le titulaire lui-même
Pour maintenir ses droits sur la marque « TESTAROSSA », Ferrari revendique le fait d’avoir revendu elle-même, après contrôle, des véhicules d’occasion sous ladite marque.
La CJUE estime qu’il s’agit bien d’un usage sérieux de la marque (point 56).
Il faut donc comprendre que, malgré la règle de l’épuisement des droits, il peut donc y avoir « usage sérieux » d’une marque lorsque son titulaire vend une deuxième fois ses propres produits sous cette marque (points 59 et 60).
- La fourniture de services après-vente par le titulaire lui-même
Ferrari a mise en avant le fait qu’elle fournit toujours certains services, notamment d’entretien ou de fourniture de pièces détachées pour les voitures de marque « TESTAROSSA » vendues à l’époque. La CJUE dit que de tels services peuvent en soi constituer un « usage sérieux » de la marque, à condition toutefois que les services soient effectivement fournis sous cette marque (point 64), ce qui n’était a priori pas le cas en l’espèce.
>En revanche, n’est pas considéré comme un usage sérieux :
- L’usage de la marque « TESTAROSSA » en Suisse en raison d’une convention germano-suisse de 1892
Ferrari a tenté d’opposer une convention bilatérale de 1892 signée entre l’Allemagne et la Suisse et toujours en vigueur aujourd’hui.
Ladite convention déroge au principe de territorialité et permet que l’usage d’une marque en Suisse vaille usage en Allemagne et réciproquement.
Cependant, pour la CJUE, cette convention est « incompatible » avec le droit de l’Union et l’Allemagne « est tenue » de la dénoncer (art. 351, al. 2, TFUE ; point 71).
En tout état de cause, cet arrêt est riche d’enseignements sur la question de l’usage sérieux d’une marque nationale et mérite d’être étudié avec attention.
Par Marie-Alix André et l’équipe IP/IT
Références de l’arrêt : CJUE, 22 octobre 2020, C-720/18 et C-721/18, Ferrari SpA/DU
Source : Flash APRAM et Curia
Lien : http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=232724&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=9439282
[1] Libellé pour la marque internationale « TESTAROSSA » n° 515 107: « Véhicules ; appareils de locomotion par terre, par air ou par eau, notamment automobiles et leurs parties » ;
Libellé pour la marque nationale « TESTAROSSA » n°11158448 : « Véhicules terrestres, aéronefs et véhicules nautiques ainsi que parts de ceux-ci ; moteurs pour véhicules terrestres ; parties constitutives de voitures, à savoir barres de remorquage, porte-bagages, porte-skis, garde-boues, chaînes à neige, déflecteurs d’air, dispositifs de retenue de la tête, ceintures de sécurité, sièges de sécurité pour enfants. ».
[2] Pour identifier une sous-catégorie cohérente de produits ou de services, « le critère de la finalité et de la destination des produits ou des services en cause constitue le critère essentiel » (point 40). Autrement dit, il s’agit savoir si le consommateur désireux d’acquérir un produit ou un service relevant de la catégorie de produits ou services visée par la marque « associera à cette marque l’ensemble des produits ou des services appartenant à cette catégorie » (point 43).
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