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Juin 10

L’adaptation à l’urgence sanitaire de la licence d’office dans l’intérêt de la santé publique

Lors de son allocution du 29 mai 2020, le Directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a rappelé que« Les outils de prévention, de détection et de traitement de la COVID-19 sont des biens publics mondiaux et chacun doit pouvoir y avoir accès ».

Le droit français connait déjà un régime de licence d’office qui permet d’assurer un tel accès. Il n’est cependant pas tout à fait adapté à l’urgence sanitaire actuelle, ce qui a nécessité des adaptations.

En droit français, la loi du 2 janvier 1968 sur les brevets d’invention créé deux types de licences imposées.

Elles ont vocation à contraindre le titulaire d’un brevet à autoriser l’exploitation de son brevet par des tiers, de manière non-exclusive, dans certaines circonstances et dans le respect de certaines conditions prévues par la loi. Parmi elles, se trouve la licence d’office dans l’intérêt de la santé publique.

Ainsi, si l’intérêt de la santé publique l’exige, un arrêté ministériel peut placer sous le régime de la licence d’office trois types de brevets :

  • Un brevet délivré pour un médicament, un dispositif médical, un dispositif médical de diagnostic in vitro, un produit thérapeutique annexe ;
  • Un brevet délivré pour des procédés d’obtention de ces médicaments, dispositifs ou produits et encore un brevet pour des procédés de fabrication de tels produits ;
  • Et enfin un brevet délivré pour une méthode de diagnostic in vivo.

Il faut encore que ces produits, procédés ou méthodes de diagnostic ne soient mis à disposition du public qu’en quantité ou en qualité insuffisante ou à des prix anormalement élevés ou que le brevet soit exploité dans des conditions contraires à l’intérêt de la santé publique ou constitutives de pratiques anticoncurrentielles à la suite d’une décision administrative ou juridictionnelle devenue définitive.

Normalement, sauf pratique déclarée anticoncurrentielle ou situation d’urgence, le ministre chargé de la propriété industrielle est d’abord tenu de rechercher un accord amiable avant d’adopter un arrêté de licence d’office.

A la suite de ce premier arrêté, toute personne qualifiée est autorisée à demander au ministre chargé de la propriété industrielle l’octroi d’une licence d’exploitation.

L’octroi de chaque licence se fait ensuite par un arrêté individuel pris par le ministre, arrêté qui fixe la durée et la circonscription territoriale de la licence. Il ne fixe en revanche pas le montant des redevances dues par le licencié. Ce montant doit en effet être fixé d’un commun accord entre le titulaire du brevet et le licencié d’office. A défaut, le tribunal judiciaire de Paris est compétent pour en fixer le montant. Quoiqu’il arrive, la licence prend effet à la date de notification de l’arrêté aux parties.

Dans le contexte de lutte contre le Covid-19, la licence d’office dans l’intérêt de la santé publique aurait pu être intéressante notamment pour s’assurer d’un accès universel aux vaccins et aux futurs traitements. Mais, ses conditions de mise en place sont très complexes et finalement peu adaptées à l’urgence. Le gouvernement français a donc préféré légiférer pour créer une solution plus souple.

Ainsi, la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, modifiée par la loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, a introduit un nouvel article dans le code de la santé publique, l’article L. 3131-15.

En substance, cet article prévoit que, par décret règlementaire, le Premier ministre peut, lorsque l’état d’urgence sanitaire est déclaré et aux seules fins de garantir la santé publique :

  • Ordonner la réquisition de toute personne et de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire;
  • Prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire.

L’article précise que ces mesures doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu, et ajoute, qu’il y sera mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires.

Reste à voir si, contrairement à la licence d’office dans l’intérêt de la santé publique, ces mesures exceptionnelles seront effectivement mises en œuvre.

En attendant, de nombreuses initiatives privées se développent comme l’opération “IP Open Access Against Covid-19” qui a conduit Panasonic à mettre en libre accès 90 000 brevets et modèles pour lutter contre le virus.

Par Marie-Alix André pour ATurquoise

Source : Libération

Lien : https://www.liberation.fr/debats/2020/05/06/pandemie-s-assurer-d-un-acces-universel-et-sans-rationnement-aux-futurs-traitements-et-vaccins_1787421